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Personnel de l’éducation

Interview Croisée | Personnel de Soutien Scolaire France Québec

Education and Solidarity Network
21 mars 2019

Le Réseau Education et Solidarité s’est entretenu avec deux de ses membres syndicalistes francophones, l’UNSA-SE (France) et la FPSS-CSQ (Québec), afin d’échanger sur les enjeux et défis relatifs à la reconnaissance, à la santé et au bien-être des personnels de soutien scolaire.

Élise Caperan est conseillère principale d’éducation et déléguée nationale des non-titulaires à l’UNSA- Education (France).

 

Éric Pronovost est président de la Fédération du Personnel de Soutien Scolaire (FPSS) depuis 2013. Il a également travaillé en tant que personnel de soutien scolaire, à titre d’éducateur en service de garde (Québec, Canada).

 

 

Bonjour Élise, bonjour Éric. Pour commencer, pouvez-vous présenter votre syndicat ?

Élise Caperan – L’UNSA-Education est une fédération de syndicats des métiers de l’éducation qui concerne aussi bien l’Education Nationale que le monde associatif, sportif, ou bien encore l’éducation populaire. Nous sommes la deuxième fédération représentative au Comité Technique Ministériel de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en France.

Éric Pronovost – Pour nous, au Québec, la Fédération du Personnel de Soutien Scolaire (FPSS) est la seule fédération qui représente exclusivement le personnel de soutien scolaire présente au Québec. La FPSS-CSQ a le pouvoir de construire, pour le personnel de soutien scolaire, une aire de travail où les conditions d’exercice de chacun de nos métiers sont respectées par l’employeur. Avec les collègues, elle contribue à développer une réelle solidarité dans le milieu de l’éducation. La Fédération détient aussi un atout indéniable en faisant partie de la grande famille de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).

Quelle est la place du personnel de soutien scolaire au sein de votre organisation ?

E. C. – Alors nous, ce sont des professions tout à fait reconnues et représentées au sein de notre fédération puisque tous les personnels de soutien scolaire ont leur propre organisation syndicale au sein de la Fédération de l’UNSA-Education. Les assistants sociaux et les assistantes sociales ont leur propre syndicat, même chose pour les infirmiers et les infirmières scolaires, pour les personnels administratifs, les chefs d’établissements. Après, les CPE et les psychologues de l’Education Nationale ainsi que les AESH (Accompagnants d’élèves en situation de handicap) et les AED (Assistants d’éducation) sont regroupés au sein du syndicat Enseignants de l’UNSA. Toutes ces professions sont très représentées dans notre fédération par le biais de leur propre organisation syndicale.

Il n’existe donc pas, comme au Québec de syndicat spécifiquement dédié au personnel de soutien scolaire ?

E. C. – Exactement.

Qu’entend-on par personnel de soutien scolaire ?

E. P. – Ici au Québec, nous distinguons 81 classes d’emploi au niveau du personnel de soutien scolaire, réparties en 5 grandes catégories. On a le personnel de soutien administratif, le personnel de soutien manuel, technique, et para-technique. Il y a aussi une autre branche, les services directs aux élèves, qu’on distingue un peu des professionnels et des enseignants. Actuellement il n’y a pas d’ordre professionnel chez le personnel de soutien scolaire mais on participe aux échanges, aux plans d’intervention, à la construction de ce que devrait être le milieu. On est partie prenante… ou quand on ne l’est pas, on essaie de définir notre place.

E. C. – C’est très intéressant parce que c’est une réalité totalement différente en France. Chez nous, la notion de soutien scolaire a un sens bien particulier : venir en appui des élèves qui ont besoin d’une aide plus individualisée, ou qui n’ont pas chez eux de bonnes conditions pour étudier. Ce sont donc les enseignants, des assistants d’éducation ou des assistants pédagogiques, des associations extérieures à l’école, ou encore des AESH (Accompagnants d’élèves en situation de handicap) quand il s’agit d’élèves en situation de handicap, qui vont être ces « personnels de soutien scolaire ». Ainsi si l’on transpose la notion québécoise de PSS en France, on élargit considérablement le nombre de fonctions et d’agents ! On désignera alors les personnels administratifs et d’intendance, les personnels sociaux et de santé (infirmier.e.s, assistant.e.s sociaux), les psychologues scolaires, les Conseillers Principaux d’Education, les chef.f.e.s d’établissement, les AESH, les personnels de maintenance, d’accueil et d’entretien… Bref tous les personnels non-enseignants !

Crédits  : Fédération du personnel de soutien scolaire 

Selon vous, quels sont les enjeux, les difficultés rencontrés par cette catégorie de personnels ?

E. C. – Comme ce sont des professionnels avec des réalités professionnelles totalement différentes, si on prend l’exemple d’un accompagnant d’élève en situation de handicap et d’un chef d’établissement, ce sont des positions hiérarchiques différentes, des fonctions différentes, quoiqu’il y a l’élève qui vient faire le lien commun. Mais du coup, les problématiques ne vont pas du tout être les mêmes et faire un constat homogène de toute la population de ce qu’on appelle au Québec le personnel de soutien scolaire c’est difficile en France. Mais il y a quand même une problématique commune qui est ressortie de notre enquête baromètre, celle du sentiment d’une absence de reconnaissance professionnelle. Ça pour le coup, quelle que soit la catégorie de personnel interrogée, le manque de reconnaissance professionnelle et les conditions de travail pas toujours en lien avec les missions exercées, sont des problématiques constantes.

E. P. – C’est exactement cette problématique que l’on vit, celle de la reconnaissance du personnel de soutien scolaire. Quand on parle à la population en général, on est souvent oublié, parce que, quand on se met à parler de l’école, on pense souvent aux enseignants. Il nous faut continuellement faire de la représentation pour être reconnu. Il faut aussi démontrer qu’il y a d’autres catégories de gens qui travaillent au sein des établissements. Et ce sentiment-là, de ne pas être reconnu, ce n’est pas juste auprès de la population, c’est parfois auprès de certaines directions d’écoles, auprès du gouvernement, et aussi auprès des chercheurs universitaires. Parce que lorsqu’il y a des études, c’est souvent au sujet des enseignants pour parler de la charge de travail et de la santé, mais rarement du point de vue du personnel de soutien. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons mis en place une journée nationale du personnel de soutien scolaire. Au niveau de la charge de travail, la moitié de notre personnel est en situation précaire, la moitié ne travaille pas à temps plein dans le milieu…

E. C. – Voilà une chose que l’on a en commun dans cette catégorie. On va prendre le cas du Québec, dans cette catégorie du personnel de soutien scolaire en France, ce qui caractérise une bonne partie des agents c’est qu’ils sont aussi en situation de précarité, voire de grande précarité. Nous avons des collègues qui sont sous contrat alors qu’en théorie, nous sommes un Ministère de la Fonction publique donc ce sont des fonctionnaires qui doivent exercer les missions. De fait, d’être sous contrat, cela les précarise par rapport aux fonctionnaires… et les contrats en eux-mêmes, par la faiblesse de la rémunération ou parce que sont des contrats à temps incomplets font que l’on a de nombreux agents qui exercent des missions, pourtant de service public, avec un statut précaire.

Quelles actions menez-vous au sein de votre organisation ?

E. P. – Nous venons de réaliser un sondage sur la violence vécue par le personnel de soutien scolaire. Nous essayons aussi de suivre d’autres problématiques, telle que l’isolement. Nous organisons des colloques, des journées de conférence, des formations. On a aussi des documents d’information, qui permettent de mieux faire connaitre les problématiques et les solutions. On en fait aussi la promotion au niveau des syndicats locaux. Lorsque nous tenons un kiosque dans un salon, c’est le genre de produit qui interpelle beaucoup les gens, parce que le sujet et le visuel sont accrocheurs. On est aussi constamment en relation avec la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST), qui est un organisme provincial. Et nos avocats défendent des dossiers en vertu des lois avec ce sujet-là. Parce que dans l’éducation, c’est rarement physique ce que l’on vit, c’est beaucoup psychologique, c’est un travail à démontrer ça.

E. C. – Alors, je ne crois pas qu’on ait mené des actions traitant spécifiquement des problématiques de santé. Pour l’instant, c’est plus le bien-être, l’axe choisi, qui va révéler tout ce qui est en lien avec le burn out. Mais sur les problématiques de santé et de sécurité spécifiquement non, ou si on l’a fait ça va être par le bais du CHSC (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). C’est une instance représentative, c’est-à-dire où siègent l’administration et les organisations syndicales et qui a justement pour mission d’aborder ces problématiques de sécurité et de santé au travail. Au niveau des syndicats, nous menons des enquêtes ponctuelles auprès des agents. On sait par exemple que les personnels qui ont en charge l’accompagnement du handicap nous renvoient des problématiques de précarité très forte. Et plus ponctuellement, des problèmes de violence qu’elles peuvent rencontrer sur leur lieu de travail. On a plus été sur la focale bien-être, qui est en lien avec la santé mais pas encore tout aussi précisé. Du coup, ce serait tout à fait intéressant que l’on s’y penche vraiment.

Vous avez évoqué deux structures travaillant sur les questions de santé : la CNESST pour le Québec et le CHSCT pour la France. Comment la santé est-elle prise en compte au sein de votre syndicat ?

E. C. – Du fait que les CHSCT ont été créés dans l’Education Nationale il y a quelques années (c’est vraiment tout récent), nécessairement, il a fallu que nous, techniquement, on soit au clair sur ce dossier. Au niveau de la fédération et notamment au niveau du syndicat des enseignants, nous avons une personne en charge de toutes ces problématiques liées à la santé et aux risques psycho-sociaux. La problématique de la santé chez nous, ne ressort quasiment que via l’angle des risques psycho-sociaux. Si tu compares avec les métiers manuels où on retrouve plus de problématiques de santé physique, dans le monde de l’éducation, c’est plus des problématiques de santé psy, voire de santé mentale qui s’expriment aujourd’hui.

E. P. – Nous avons des personnes ressources à la Centrale, qui travaillent avec des collaborateurs. Ce sont des ressources qui se spécialisent en santé et sécurité au travail et qui vont suivre les lois et surveiller activement les changements. Nous travaillons étroitement avec des chercheurs universitaires qui permettent d’aller plus loin, d’aller voir des problèmes récents, et les analyser pour voir quel va en être l’impact. Ce sont des ressources essentielles.

Quelles actions pouvons- à mettre en place pour la santé ou le bien-être du PSS ?

E. C. – Du coup, d’entendre Éric Pronovost parler de ces enquêtes sur la violence vécue au Québec, je me dis que cela pourrait être une idée. Sur la problématique des femmes et des femmes isolées, il pourrait y avoir des choses à faire aussi. Le simple fait de faire une enquête qui n’inclurait pas les enseignants, serait déjà remarquable au sens littéral du terme. Comme vous au Québec, l’opinion est centrée uniquement sur le travail des enseignants alors que l’éducation implique tout un tas d’autres acteurs. Mais cela s’explique, on a une vision très académique, très classique de ce que devrait être l’éducation chez nous, à savoir transmettre des savoirs et rien d’autre…

E. P. – C’est vrai ! Et malheureusement, c’est souvent l’image que les gens ont. Alors que la réalité est beaucoup plus complexe. Nous, ce sur quoi on travaille c’est le sondage de l’IE sur la qualité de vie au travail du personnel de soutien scolaire, qui vise à comparer la situation au Québec avec celle des autres pays. Nous, en tant que syndicat, on entend souvent les revendications qui viennent du terrain. Mais on est aussi obligés de présenter des statistiques pour démontrer l’ampleur des problématiques. Ça, ça a été très aidant. Et comme je l’ai déjà dit, nous avons instauré une journée nationale du personnel de soutien scolaire qui est un évènement de reconnaissance important chez nous et qui rassemble les gens.

E. C. – L’enjeu est de rendre ces personnels visibles, tout simplement. Et c’est long : le baromètre réalisé par notre fédération a maintenant une visibilité au niveau des médias, mais au bout de sa 6ème édition seulement. Il a fallu six ans pour que les médias se disent, ah bah quand même tiens il y a des organisations syndicales qui s’intéressent à la problématique du bien-être au travail, et particulièrement du bien-être au travail dans les métiers de l’éducation, et pas seulement que du bien-être des enseignants. Donc, rendre visibles ces agents et problématiques particulières qu’ils connaissent, c’est déjà syndicalement quelque chose à mener, et après tout ce travail de comparaison, cela semble évident. Car nos gouvernements ont toujours à cœur de comparer ce qui se fait chez nous et ce qui se fait ailleurs, et des fois, on devrait leur renvoyer ces comparaisons.

Élise, Éric, merci beaucoup !

Propos recueillis par Cécile MARTINEZ.

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