Interview réalisée par Kaissa Consulting, avec Thierry Weishaupt, délégué général du Réseau Education et Solidarité
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Le Réseau Education et Solidarité a été créé par des acteurs de la mutualité et de l’éducation afin de rassembler ceux qui partagent la conviction que l’éducation, la santé et la solidarité sont au cœur du développement humain. Aujourd’hui, le Réseau conseille et accompagne la création de mutuelles, préfiguration de systèmes de protection sociale couvrant l’ensemble de la population. Thierry Weishaupt, délégué général du Réseau Education et Solidarité nous livre son point de vue.
Education à la sécurité sociale auprès des élèves par le CIESS, Colombie
Quels objectifs se fixe le Réseau Education et Solidarité ?
Le projet a été porté à l’origine par trois fondateurs :
- l’Internationale de l’éducation (IE), fédération regroupant l’ensemble des syndicats de l’éducation dans le monde,
- l’Association internationale de la mutualité (AIM), qui rassemble les acteurs mutualistes santé au niveau international,
- et la Mutuelle Générale de l’Education Nationale (MGEN), une des mutuelles françaises leaders sur le champ de la couverture santé, et dont les origines sont profondément ancrées dans le monde de l’éducation.
Les organisations membres du Réseau conduisent des projets solidaires et internationaux, autour de trois objectifs :
- Placer la santé au cœur de l’école, pour l’ensemble des acteurs de la communauté éducative (santé au travail des enseignants, bien-être des élèves et sensibilisation de leurs familles…) ;
- Développer des systèmes de santé solidaires, notamment autour du principe mutualiste et par un accompagnement en matière d’éducation et de formation ;
- Faire vivre le principe de la solidarité chez les jeunes.
Dans les pays en développement, quelle perception a-t-on de la protection sociale ?
Au niveau des Etats, la perception est en train d’évoluer, passant d’une notion de coût à celle d’un investissement, nécessaire pour un développement humain porteur à la fois de compétitivité économique et de paix sociale.
Pour les populations, il s’agit malheureusement souvent encore d’un « luxe » qui vient après les enjeux du quotidien, du fait de la faiblesse des revenus. 80% de la population mondiale ne bénéficie pas à ce jour d’une protection sociale adéquate !
Quel enjeu revêt l’éducation pour la mise en place de système de protection sociale ?
La protection sociale et ses composantes (notamment la couverture santé, l’éducation, la retraite…) est difficile à appréhender, du fait de sa faible diffusion et de la complexité de ses mécanismes. Beaucoup peinent à s’approprier son importance. Il est donc nécessaire d’accompagner la diffusion de protections par une sensibilisation et une formation des populations. Il est surtout important d’éduquer les générations futures afin qu’elles intègrent dans leur vision de la vie :
- la dimension protection contre les risques
- et l’importance d’une approche mutualisée et solidaire pour rendre cette protection abordable pour tous.
Cette éducation est importante dans les pays ou des socles de protection sociale sont en train d’être créés, mais elle l’est aussi dans des pays développés ou la protection sociale existe depuis des décennies et où les jeunes générations ne sont plus conscientes de son importance.
Quelle place est accordée à l’éducation et à la formation dans les projets de création de mutuelles pour lesquelles le Réseau intervient ?
Prenons un exemple. Nous accompagnons les syndicats de l’éducation de base du Burkina Faso dans la création de leur mutuelle, qui préfigure le développement de l’assurance maladie universelle pour l’ensemble de la population. Les acteurs impliqués, syndicats comme pouvoirs publics, ont compris le rôle de levier essentiel qu’allait jouer ce projet, car :
- les professionnels de l’éducation qui seront acteurs de leur mutuelle doivent être formés à la gestion d’une mutuelle
- ils pourront sensibiliser d’autres populations aux enjeux et aspects concrets de la création de mutuelle, permettant ainsi la diffusion d’un modèle de protection sociale solidaire sur lequel le gouvernement burkinabè veut s’appuyer pour étendre l’AMU ;
- ces mêmes professionnels et leur ministère, avec d’autres acteurs de terrain, seront également à même de mettre en place un programme d’éducation à la santé et à la protection sociale pour les jeunes, qui permettra aux futures générations d’intégrer dès l’enfance les enjeux de la protection sociale.
En matière d’éducation, sur quelles catégories de population (enseignants, personnel médical…) s’appuyer pour favoriser cette éducation à la protection sociale ?
Dans les projets du Réseau, même si le noyau dur des actions est constitué de professionnels de l’éducation et de mutualistes, le caractère innovant naît toujours de la confrontation et de la coopération avec d’autres acteurs. Pour reprendre l’exemple du Burkina, nous travaillons avec des acteurs luxembourgeois, parmi lesquels l’association Pharmaciens sans Frontières du Luxembourg. De même, en Haïti, notre programme autour de la protection sociale, mené dans le cadre d’un projet de Solidarité laïque, a associé à la fois les professionnels de l’éducation, les parents d’élèves et des organismes de sécurité sociale ; et le tout appuyé par l’expertise du Centre Interaméricain d’Etudes de la Sécurité Sociale (CIESS) à l’origine d’un programme d’éducation à vocation continentale.
Dans ce but, quelle type d’actions concrètes ont été mises en place par le Réseau ?
A chaque pays et à chaque cas ses spécificités. Pour notre programme le plus récent, coordonné en Colombie avec l’Alliance Mutualiste des Amériques (AMA) et son membre local Gestarsalud, il a été décidé localement que le programme s’adresserait aux jeunes à l’entrée du monde du travail. Du coup, la diffusion des programmes concrets sera conçue de manière différente, pour répondre aux besoins et attitudes spécifiques de deux types de publics :
- les jeunes diplômés sortant des universités en milieu urbain ;
- les jeunes issus de filières d’apprentissage et de formations techniques de terrain en milieu rural.
Quels sont les principaux obstacles à surmonter ?
Le principal obstacle est de convaincre les grands acteurs institutionnels que l’approche de la protection sociale n’est pas que financière et « descendante » en termes de communication, mais qu’elle nécessite une appropriation par les populations. Dans le Réseau, nous disons que tout programme doit comporter trois étapes : l’éducation pour comprendre le système, l’expression pour s’approprier les enjeux et solutions concrètes et participer à la construction du système, et l’engagement pour pouvoir agir et maîtriser le système.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la difficulté est rarement du côté de la mobilisation des citoyens : dès qu’ils ont la possibilité d’apprendre, de s’exprimer, de prendre des engagements, nous sommes toujours surpris des résultats obtenus, y compris dans un pays aussi difficile que Haïti !